Il y a des centaines de villes fantômes aux États-Unis, dont plusieurs dizaines réparties dans le Colorado et en Californie. Parmi elles, la ville de Bodie, perchée dans les montagnes et coincée entre le parc de Yosemite et le Nevada, reste sans aucun doute une des mieux conservées. Marcher dans les rues de ce village nous ramène au temps de la ruée vers l’or et des attaques de diligences. On s’imagine dans un des décors de western de notre enfance.

Nous sommes à deux mille cinq cent mètres d’altitude et la fin de la route qui mène à Bodie est une piste de terre en mauvais état. Cinq kilomètres de nids-de-poule, de poussière et de graviers conduisent jusqu’à ce qu’il reste du centre-ville. Chaque nouvelle secousse nous éloigne un peu plus du monde moderne.

L’histoire de Bodie est l’histoire classique des villes minières du Far West. En 1859, un prospecteur nommé William S. Bodey découvre un gisement d’or et des milliers de mineurs en quête de richesse affluent vers ce nouvel eldorado. Une mine est construite en 1861. Elle devient rapidement une des plus rentables du pays (plus de 10.000 tonnes d'or furent extraites).

La ville prospère en quelques mois. À son apogée, en 1880, Bodie est même considérée comme la deuxième ville de Californie, avec près de 10 000 habitants et 2000 bâtiments. Elle possède une banque de la Wells Fargo, une gare, plusieurs gazettes locales, une prison, un mini-Chinatown, avec ses temples chinois et ses fumeries d'opium et pas moins de soixante-cinq saloons pour étancher la soif des chercheurs d’or. Les chargements d'or partant de la mine étaient acheminés jusqu'à Carson City dans le Nevada, en passant par Aurora, Wellington et Gardnerville. La plupart des cargaisons étaient escortées par un garde armé. Les accidents dans les mines sont réguliers car il faut descendre jusqu'à 200 mètres de profondeur pour récolter l'or.

Les villes "champignons" comme Bodie disparaissent souvent aussi vite qu'elles sont apparues. Dès que l'on a découvert de l'or à d'autres endroits, les habitants sont progressivement partis, laissant derrière eux les bâtiments vides. Les années 1880 connaissent une certaine accalmie. Les gisements commencent à s'épuiser et de nombreux mineurs quittent la ville. En 1885, la population tombe à 3000 habitants, et 1500 l'année suivante. Dans les années 1890, malgré les récents progrès technologiques, l'extraction de l'or devient de moins en moins rentable car il faut descendre de plus en plus profondément. Les compagnies minières quittent les lieux les unes après les autres. En 1892, un terrible incendie ravage une bonne partie de la ville. En 1900, la ville ne compte plus que 965 habitants. En 1917, le chemin de fer est abandonné et il ne reste plus à Bodie qu'une centaine de personnes. Malgré cela, l'activité se maintient jusqu’en 1932, où un autre incendie détruit 95% de la ville et scelle définitivement le sort de Bodie. En 1942, la ville est définitivement abandonnée par arrêté gouvernemental.

À l’époque, la réputation sulfureuse de Bodie dépassait largement les frontières du comté : hold-up, prostitution, règlements de comptes devant le saloon et les fumeries d’opium du quartier chinois étaient le lot quotidien des habitants de la ville. Bodie, c’était le Far West. Le vrai. Celui où on se retrouve abattu dans le dos, pour un différent de quelques dollars. Les assassinats, les fusillades, les bagarres et les hold-up étaient monnaie courante. Une légende dit qu'une petite fille, apprenant qu'elle et sa famille déménageaient pour Bodie, fit une nuit cette prière : " Au revoir Seigneur, nous allons à Bodie".

On considère qu'il reste à l'heure actuelle plus ou moins 5 % des bâtiments d'époque (ceux-ci sont entretenus par des rangers). C'est aujourd'hui un State Historic Park et National Historic Landmark. La meilleure façon de visiter la ville est de s’y perdre, de marcher frénétiquement de maison en maison et de coller son nez à chaque fenêtre. On met alors ses mains autour de ses yeux, entre son visage et le carreau, et on entrevoit chaque détail. Depuis plus de cinquante ans, rien ne semble avoir bougé. À Bodie, le temps s’est arrêté. Des habits sont toujours suspendus dans les placards, des outils attendent encore sur les établis. Au sol, des jouets d’enfants, des livres et des chaussures témoignent de la vie quotidienne de l’époque. La leçon du jour est encore écrite à la craie sur le tableau de l’école et des verres traînent sur le comptoir du saloon. Chez le croque-mort, on découvre même des cercueils abandonnés.

Et comme toute ville fantôme, Bodie a aussi sa malédiction. Dans le minuscule musée de Main Street, la rue principale de la ville, des visiteurs racontent qu’après avoir ramassé une pièce de monnaie, un morceau de céramique ou même une fleur lors de leur passage à Bodie, le mauvais sort s’est abattu sur eux.  De la simple mort d’un poisson rouge à la découverte d’une grave maladie, en passant par une faillite ou un accident de voiture, les histoires s’entremêlent et font vivre la légende. Dans leurs lettres, les voleurs s’excusent d’avoir offensé les esprits de Bodie et prient les Rangers en charge du lieu de bien vouloir remettre à sa place leur larcin. Ils espèrent ainsi être libérés de la malédiction. Avant de remonter dans la voiture, nous vidons consciencieusement nos chaussures du moindre gravillon. On ne sait jamais.

 

LE MOT DE L'AUTEUR

Si les villes fantômes vous fascinent, sachez que le site Internet, ghosttowns.com, recense chaque ghost town du pays, état par état. La plateforme est donc une mine d’or pour ceux et celles qui souhaitent se lancer dans un ghost trip américain.

 

 

 

La rue principale, Main Street

 

 

Camion Dodge Graham de 1927. La ville avait sa propre station essence. Remarquez les trous de balle dans l'ancien panneau Shell.

Un coupé Chevrolet de 1937.

Les bâtiments de la mine.

L’intérieur d’une maison.

Un des 65 saloons.

L’intérieur d’une maison.

Un cercueil chez le croque-mort.

 

 

 

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