Gorée, ile au large de Dakar au Sénégal, fut en 1978 des premiers sites classés au Patrimoine mondiale de l'Unesco que venait de créer l'ONU. Elle devenait du coup le symbole planétaire des horreurs de la traite négrière. Sa visite est aujourd'hui un plongeon dans l'histoire mais aussi paradoxalement un agréable moment auprès d'une population conviviale.

« Comment c'est ton prénom ? Moi, c'est Caroline. » L'interpellation est immédiate à peine monté sur la grosse chaloupe qui amène de Dakar à Gorée. Un quart d'heure de paisible croisière en compagnie de nombreuses marchandes en beauté dans leurs impeccables robes et turbans multicolores. Chaque matin et soir, elles font la traversée pour vendre tout et rien aux nombreux touristes du jour. Leur technique est rodée : elles se souviennent de tous les prénoms glanés sur l'embarcation et à un moment ou l'autre sur l'ile, la personne se fera gentiment interpellée, « Alors Yves, ça se passe bien ? Tu te souviens de moi, je suis Caroline du bateau. Viens regarder ce que j'ai sur mon stand. Mieux que sur les autres. » Leur sens du commerce est l'unique lien qui les relient à celles qui les ont précédées sur Gorée, les Signares. Ces métisses à la beauté époustouflante se faisaient concubines des blancs riches négociants, officiers ou hauts fonctionnaires qu'ils soient Portugais, Hollandais, Anglais ou Français au gré des maîtres colons de l'ile. Tout en sensualité, elles géraient le standing de la maison et s'associaient aux business alors à la mode, la vente d'arachide, gomme, peaux, épices et bien sûr d'esclaves noirs pour les Amériques.

Le commerce triangulaire fit du XVème au XIXème siècles la fortune d'armateurs dont en France, ceux de Bordeaux, Nantes ou Saint-Malo. On chargeait en Europe de la verroterie, des armes, des toiles, que l'on échangeait en Afrique de l'Ouest contre des esclaves à revendre aux Amériques pour les plantations de cannes, coton et mines, et revenir vers le vieux continent avec du sucre, du rhum, du chocolat... Plusieurs ports d'Afrique se sont fait une spécialité de fournir la marchandise humaine, apportée, faut-il le rappeler, par des rois noirs au détriment de leur propre population et surtout de prisonniers razziés dans les ethnies voisines. Gorée, pas le plus actif mais le plus symbolique par son infrastructure et sa géographie, porte aujourd'hui le message universel de mémoire et de dénonciation de tous les esclavagismes.

La Maison des Esclaves

La première vision de Gorée est le Fort d'Estrées, étonnante fortification ronde devenue Musée d'histoire. Sur le port, les anciennes demeures de colons donnent les couleurs de toute l'île, jaune, ocre et rouge, où voitures et vélos sont interdits. C'est donc à travers de charmantes ruelles paisibles que l'on chemine, loin de l'image des tourments de l'esclavage. La statue grandeur nature d'un homme se libérant de ses chaînes, offerte par des Guadeloupéens, est pourtant là pour le rappeler, juste avant d'atteindre la Maison des Esclaves. Il exista une douzaine de ces « captiveries » sur Gorée ; celle-ci, propriété de la signare Anna Colas Crespin, fut la seule à ne pas être rasée à l'abolition de la traite par la volonté du maire de l'ile afin de témoignage. On y entre par une modeste porte, avant qu'éclate la couleur rose de son double escalier à l'italienne. En haut, l'administration et les salons, en bas, les cellules de tri avant l'embarquement. Ici, les enfants, là les hommes faibles à requinquer, ailleurs les récalcitrants à mater... et pour les autres dans le noir, une seule ouverture de lumière, la porte sur la mer où les attendaient les navires pour un voyage sans retour à fond de cale. Des panneaux explicatifs et le discours des guides sont là pour en éclairer les grands et petits aspects.

Vivre sans oublier

Avec ses 32 hectares, Gorée se parcourt facilement à pied. Depuis le Castel, la capitale de Dakar se découvre en entier, non loin du marché artisanal où des artisans-artistes épatent par leur science de la récupération. Tout proche, le Mémorial de Gorée faillit coûter à l'ile son classement à l'Unesco par son style se voulant avant-gardiste dans un site au décor authentique préservé. Mais c'est en réalité une copie réduite, la vraie œuvre ayant dû déménager sur le continent. Voisin, l'immense canon à deux fûts de 14 km de portée est, lui, un souvenir de la Seconde guerre mondiale. Il n'a servi qu'une fois, le 23 septembre 1940, sous l'ordre du gouvernement Pétain pour couler un navire anglais... puis a été saboté sous l'ordre du gouvernement De Gaulle en 1960 pour que le Sénégal, devenu indépendant, ne puisse l'utiliser...sauf en terrain de jeu comme aujourd'hui.

Le retour au port par d'autres ruelles et places charmantes s'accompagne de discussions joviales de prix des souvenirs.

Hier c'était hier, Gorée veut vivre dans le présent, sans oublier.

Partir avec Salaün Holidays au Sénégal

Arrivée à Gorée par le Fort d'Estrées.

La statue de l'homme qui se libère.

La Maison des esclaves, une entrée modeste, son double escalier rose et la porte vers le départ en mer.

Artistes et artisans se retrouvent au marché du Castel.

Le Mémorial de Gorée au style contesté

L'énorme canon français n'est plus qu'un terrain de jeu.

L'histoire et la gentillesse rencontrées à Gorée laissent un coup de cœur

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